ELEFANTASMES
Il est des images rêvées qu’il faut savoir saisir quand elles se matérialisent soudain devant soi. Alors le plaisir est intense et la poursuite infinie de cet instantané fugace devient une nécessité vitale, une œuvre sans cesse renouvelée, une quête de la perfection, une ode à la vérité plus forte que le rêve.
Philippe-Alexandre Chevallier raconte que quelques jours avant son départ pour le Botswana lui était apparu en rêve un éléphant pris dans la boue et dressé comme une statue. L’image s’était imprimée en lui comme un désir profond.
Cette image allait prendre corps sur les rives des points d’eau du Parc de Chobé. L’éléphant était là, de boue et debout, créature sculptée par elle-même, puissante et vibrante, fixant de son œil malin, celui qui, du fond d’une barque, allait se saisir avec jouissance d’un moment de sa vie.
La nature a du génie et l’instinct animal a du talent. Qu’il se roule dans la poussière, qu’il s’enduise de boue contre l’assaut des mouches, qu’il use de sa trompe avec l’élégance d’un artiste, l’éléphant se fait sculpteur, peintre ou danseur. Seul ou en groupe, face à l’oiseau ou indifférent aux zèbres qui l’entourent, il fait de son corps massif et pourtant si gracieux, un modèle vivant que la photographie sublime. Quand la contre-plongée l’isole sur un ciel vierge de tout parasite visuel, quand le contre-jour donne à la poussière tout son grain et son mouvement, quand les noirs profonds, les nuances de gris et le blanc pur révèlent les méandres de sa peau, on dirait que l’animal aime donner son image. Mais pas à n’importe qui.
Toujours à portée de défense ou de trompe, sans l’alibi voyeur de la longue focale, Philippe-Alexandre Chevallier et son modèle, comme deux complices, exécutent un ballet de perfection. Eclats de boue séchée, gouttes pulvérisées, nuages pour témoins, soleil levant, enduit de terre, le rêve se réalise. Le transfert est réussi. Eléfantasmes.Alain WIEDER